#7 - Partir à l'aventure
Lorsqu'on se dérobe à nos rêves, ils reviennent nous hanter. Jusqu'à se réaliser.
Un tressaillement au creux du ventre. Un vide qui déchire la poitrine. Un élan en devenir. Comment s’élancer vers nos rêves ?
Au commencement, il y a cette insatisfaction qui nous empêche d’être épanoui.e. Malgré un tourbillon d’ami.e.s, un emploi et des week-ends aux quatre coins de la France, je suffoque. Paris est gris, Paris m’ennuie. Je traîne mes dimanches soir dans la mélancolie. En apparence j’ai tout ce qu’il faut pour être heureuse, et je m’en veux de ne pas l’être. Je me sens ingrate, si bien entourée et privilégiée. Mais je sens ces griffes qui me serrent les tripes quand je suis à bout de souffle. Il manque quelque chose, je ne peux pas le définir, car de quoi sont fait les rêves qui n’ont pas encore été écrits ? Je sais seulement que j’ai cette instabilité au fond du cœur, que parfois j’étouffe, que mes songes sont peuplés de chimères.
J’admire celles et ceux qui ont l’audace de tout quitter pour partir à l’autre bout du monde et suivre leurs désirs sans se soucier des lendemains. Je repousse cette envie qui me suit depuis le confinement. Je me convaincs que ce n’est pas le bon moment, que j’ai enfin trouvé un appart sympa à Paris, que j’ai une super coloc, un CDI… Que l’intranquillité qui me dévore n’a rien à voir avec une aventure fantasmée.
Mais j’en parle, de cette envie, car les rêves qu’on refoule finissent toujours par ressurgir. Je suis du genre à avoir mille projets et à ne pas toujours aller au bout des choses. Celui-là me taraude depuis quelques années, et il a infusé ma vie sans que je le mette en action. Ce rêve devient peu à peu une possibilité de plus dans la vaste bibliothèque de mes désirs mort-nés. Je ne me sens pas chez moi à Paris où j’habite depuis quatre ans, car je sais que je vais partir. Je me sens en mouvement. Je n’investis pas dans mes meubles ni dans la déco de l’appartement: je ne vais pas m’attarder. Cette impulsion bat en moi chaque matin et chaque nuit mais je me crée des œillères qui me rassurent et me rebutent.
Ce départ jamais enclenché fait partie de ma personnalité. C’est un de mes sujets de conversation et c’est notamment à travers ça que mes amis me connaissent. Ce récit qui se déroule uniquement dans mon esprit me définit, non parce que je m’élance mais parce que je m’empêche. Toutes les paroles que j’énonce sont un mirage.
J’ai honte de ne pas avoir l’audace de celles et ceux que j’admire et je m’en veux de devenir cette personne que je méprisais. Tout paraît me retenir alors que tout est superficiel. La stabilité, les promotions, une mission qu’il faut terminer. Je m’entoure d’illusions pour ne pas me confronter à qui je suis vraiment. Pour ne pas assumer qu’un départ tant attendu peut faire peur lorsqu’on s’est construit autour de lui. Plus le temps avance, plus le voile s’épaissit. Le mythe qu’on a bâti grandit et la frustration de rester à sa place s’installe.
Quel fut l’élément déclencheur ? Un face à face salvateur. Tard dans la nuit, une discussion avec un ami qui me renvoie toutes mes peurs à la figure. Il me dit à voix haute ce que je ne m’avouais pas tout bas. Chaque argument que j’utilisais pour justifier de ne pas partir à l’aventure, il les invalidait. Il est allé chercher mes angoisses pour les exposer devant moi, sans artifices. Avoir un miroir a fait tomber toutes les barrières mentales que je dressais pour éloigner ce rêve. Devant les cadavres de mes excuses, tout est devenu limpide : je partirai. Rien ne me retient sinon moi-même, je m’envolerai donc pour ce périple qui me taraude depuis si longtemps.
Depuis cette nuit, tout était clair. Je n’avais ni démissionné, ni prévenu ma proprio que je quittais l’appartement, je n’avais pas encore beaucoup d’argent de côté, mais je racontais à tout mon entourage que j’allais partir, transportée par l’aventure à venir. Je n’en distinguais pas encore les contours, un voyage se découvre au fur et à mesure. Mais je suis passée à l’action. Le vertige de savoir que je m’offrais cette audace qui m’avait manqué jusque-là. Une sensation de bien-être et de plénitude m’a habitée jusqu’au départ : j’avais un but.
Trois mois plus tard, dans un rancho de la campagne mexicaine, j’en suis déjà à la moitié de mon voyage. Au cours de ces quelques mois, j’ai croisé une foule de personnes qui sont parties à l’aventure : un Italien qui a tout quitté pour construire une résidence d’artistes sur un bout de plage, un allemand septuagénaire et hippie qui n’est jamais reparti, un chaman qui s’inocule du venin de serpent pour booster son immunité, une Mexicaine qui voyage seule pour apprendre à mieux se connaître, une Française qui reste un an dans une lagune construire une maison en céramique…
Quitter ce qui nous est familier pour provoquer la nouveauté, aller vers l’autre et vers soi-même. Parfois le voyage ne transforme pas, il confirme. L’aventure a le visage qu’on souhaite lui donner. Le mien était de partir six mois au Mexique, pour une autre c’est de se reconvertir dans la cuisine, rejoindre Istanbul en train, monter une entreprise, escalader le Mont Blanc, se lancer dans le journalisme, démissionner. Partir à l’aventure est un cadeau, partageons-le.










